Robert Planel (1908-1994) et la vie musicale de son temps

photo de RP

Robert Planel est né le 22 janvier 1908, à Montélimar (Drôme). Son père, Alphonse Planel (1869-1947) [1] , était chef de l’harmonie municipale La Lyre montilienne (de 1902 à 1947) et le fondateur de la première école de musique de la ville (1903). Il encouragera, en particulier, le don musical de son fils cadet, l’accompagnant en train à Lyon pour aller écouter, en concert, La Valse de Maurice Ravel (1875-1937) : cette œuvre novatrice, créée en janvier 1920 à Paris, devait influencer, plus tard, l’écriture du compositeur, tout comme les œuvres de Gabriel Fauré (1845-1924). Durant la Première Guerre mondiale, Robert Planel, enfant, a également pu bénéficier des cours de violon que lui a dispensés, à Montélimar, René Chédécal (1898-…)  [2] qui l’encouragea à se présenter au concours d’entrée au Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMDP), de la rue de Madrid.

 

A quatorze ans, en 1922, il est d’abord admis dans la classe de violon de Firmin Touche (1875-1957), Premier Violon solo à l’Opéra de Paris. Parallèlement à ses études, durant lesquelles il côtoie de nombreux musiciens de sa génération, il gagne sa vie comme violoniste professionnel dans les premiers cinémas de la capitale ou dans les orchestres de grands hôtels parisiens. Comme d’autres musiciens de sa génération, il assure ainsi, en soirée, l’illustration musicale qui accompagne la projection des films muets, jusqu’à l’avènement du « cinéma parlant » au début des années 1930 : il improvise pour commenter l’action ou les sentiments des acteurs, et joue des œuvres de Beethoven durant les entractes, en réduction pour piano et violon. Il ne revient que durant les vacances d’été dans sa ville natale où il s’associe, en tant que violoniste ou pianiste, aux activités festives de la région : concerts de La Lyre montilienne, mais aussi fêtes votives où se produit une nouvelle formation de jazz (le Centrik Jazz).

 

Au Conservatoire, jusqu’à l’âge de 25 ans, il suit également les cours d’harmonie dans la classe de Jean Gallon (1878-1959) [3], de contrepoint et de fugue dans la classe de Georges Caussade (1873-1936) [4], de composition dans les classes de Paul Vidal (1863-1931) [5] puis d’Henri Büsser (1872-1973)[6]. Outre l’obtention de prix de violon, d’harmonie, de contrepoint et de fugue, il compose, son Andante et scherzo pour hautbois, basson et piano (1931), Les Biches (1931, Prix Halphen 1932) et son Quatuor à cordes (1932). Sa longue carrière d’étudiant est couronnée, en juillet 1933, par le Premier Grand Prix de Rome de composition musicale, dès sa première « entrée en loge » au château de Fontainebleau [7]. Cette récompense honorifique, à l’échelle nationale et internationale, était attribuée chaque année depuis 1666, sur concours [8], par l’Académie des Beaux-Arts. Dans sa cantate, Idylle funambulesque, le jeune musicien fait entrer une touche de jazz dans la musique savante : il n’hésite pas introduire dans son orchestration la sonorité du saxophone, un instrument qui, jusqu’à cette époque, n’était pas utilisé dans la musique symphonique [9]. Cette originalité le classera, lui qui n’aimait aucune « étiquette », dans la catégorie des « compositeurs de musique légère contemporaine », ainsi définie par la Radiodiffusion française dont l’Orchestre a été fondé en 1934. Idylle funambulesque est créée le 8 mars 1934, à l’Opéra Comique de Paris, sous la direction de Pierre-Barthélémy Gheusi (1865-1943) : elle est notamment interprétée, dans le rôle de Pierrot, par le ténor lyrique Jean Planel (1903-1986), son frère aîné, Premier prix-1er nommé du Conservatoire national supérieur de musique de Paris et Grand Prix du Disque [10], la même année 1933.

 

Durant son séjour de trois ans (1934-1936) à l’Académie de France à Rome – dirigée entre 1933 et 1937 par le sculpteur Paul Landowsky (1875-1961) puis par le compositeur Jacques Ibert (1890-1962) –, Robert Planel compose. Le 27 novembre 1936, les œuvres créées par les Prix de Rome sont présentées ou exécutées à Paris, au Palais des Beaux-Arts, sous la présidence d’Albert Lebrun, président de la République française, et de l’ambassadeur d’Italie en France. Il présente donc, à cette occasion, deux mélodies (Berceuse de la poupée, Le marchand de sable) et une pièce instrumentale (Divertissement chorégraphique). A Rome, il vit en compagnie d’autres artistes pensionnaires [11] : les sculpteurs Ulysse Géminiani (1906-1973) et Albert Bouquillon (1908-1997), Henri Lagriffoul (1907-1981), la musicienne Yvonne Desportes (1907-1993) et le peintre Lucien Fontanarosa (1912-1975), mais aussi Émile Marcelin (1906-1954), Jean Villermoz (1906-1940) ou l’architecte Alexandre Courtois. Il a pu également y rencontrer des pensionnaires de l’Ecole française d’Athènes, comme Henri Van Effenterre (1912-2007) dont il deviendra aussi l’ami [12]. Par ailleurs, il disait avoir ressenti l’honneur de guider Albert Roussel (1869-1937) et Henri Rabaud (1873-1949) [13] dans les jardins de la villa Médicis, ou encore d’avoir jouer aux échecs avec Arthur Honneger (1892-1955), tous trois en visite d’agrément à Rome.

 

À son retour d’Italie, Robert Planel continue de composer et d’orchestrer, notamment son Psaume (1937), tout en intégrant, sur concours, le corps des Professeurs de musique de la Ville de Paris et du Département de la Seine (actuels départements de la région parisienne). Cette nomination devait l’orienter vers une grande carrière pédagogique dans la capitale, fidèle en cela aux idéaux de son père, chef d’orchestre, compositeur et éditeur de musique, qui suscita de nombreuses vocations et fit rayonner la musique dans la Drôme de l’entre-deux-guerres. Mobilisé à Montélimar entre 1939 et 1940, il lui est confié, parce que Prix de Rome, la responsabilité de sélectionner et rassembler des musiciens français et tunisiens au sein du Régiment de Tirailleurs (28e RTT, dépôt 145 bis, centre d’hébergement du château Milan) où il avait été affecté en tant que simple soldat. Promu caporal-chef, il monte une formation de fortune pour laquelle il adapte un répertoire classique, harmonise des marches militaires et de la musique arabe : La Nouba se produira, notamment le 1er avril 1940, au Royal Cinéma. Lors de ce concert de gala, Fernandel (hébergé par la famille Planel) et le ténor Jean Planel prêteront également leur concours. En 1942, il est nommé inspecteur, sous les ordres de Raymond Loucheur [14] auquel il succède, en 1946, en qualité d’inspecteur général de l’Enseignement musical de la Ville de Paris et du Département de la Seine. Il choisira d’y consacrer sa carrière durant vingt-huit ans. Dans cette période de la Libération de Paris et du retour de la paix, tout en développant l’œuvre pionnière de ses prédécesseurs, il renouvelle l’enseignement de la musique dans les écoles et les instituts spécialisés. Il encourage la pratique de la musique chez les jeunes, notamment par le biais des nouvelles chorales scolaires pour lesquelles il harmonise de nombreux chants populaires, dont La Marseillaise pour le Certificat d’étude primaire. Cf. infra 2.

 

Robert Planel aimait la musique, sans exclusion, et il aimait à la partager. Mais il a surtout cherché à découvrir ou redécouvrir, en concert, les créations françaises du XXe siècle : celle de ses aînés – Gabriel Pierné (1863-1937), Florent Schmitt (1870-1958), Roger-Ducasse (1873-1954), Vincent d’Indy (1880-1965), Germaine Tailleferre (1892-1983), Darius Milhaud (1892-1974), Louis Fourestier (1892-1876), Raymond Loucheur (1899-1979), Georges Auric (1899-1983), Francis Poulenc (1899-1963), Henri Sauguet (1901-1988), Maurice Duruflé (1902-1986) ; ou celle de ses contemporains – Claude Arrieu (1903-1990), Georges Hugon (1904-1980), Eugène Bozza (1905-1991), Marcel Dautremer (1906-1978), Tony Aubin (1907-1981), Yvonne Desportes (1907-1993), Olivier Messiaen (1908-1992), Jean-Yves Daniel-Lesur (1908-2002), Gaston Litaize (1909-1991), Henriette Puig-Roger (1910-1992), Alfred Desenclos (1912-1971), etc. Il demeura aussi attentif aux créations des compositeurs plus jeunes que lui, par exemple Henri Dutilleux (né en 1916), Roger Calmel (1920-1998), Adrienne Clostre (1921-2006), Marcel Bitsch (né en 1921), Georges Delerue (1925-1992), Jacques Casterède (né en 1926), Roger Boutry (né en 1932), Noël Lancien (1934-1999), Alain Weber (né en 1930), ou encore Alain Petitgirard (né en 1940) qu’il rencontra en 1965, lors d’un « pèlerinage » en famille à la villa Médicis [15]. Il sera aussi appelé, par l’Académie des Beaux Arts, à être membre du Jury du Prix de Rome de composition musicale.

 

Demeuré en constantes relations avec les professeurs du Conservatoire national supérieur de musique, Robert Planel a longtemps participé aux jurys de ce prestigieux établissement, dont il sera membre du Conseil supérieur (1967). Il lui est également commandé, à différentes occasions, des « morceaux de concours » d’entrée ou de sortie (Air et final, pour trombone ; Caprice et Légende pour cor en fa ; Chanson romantique pour haubois, Ronde pour violon, Ballerine pour piano,…). Dans les années 1950, l’Office national de la Radiodiffusion française (ORTF) lui a également passé commande de deux pièces symphoniques, Parade (1954) et  Ballet pour Nanou (1956). Cet office public jouait alors un rôle pionnier dans la création musicale, tout en diffusant sur les ondes des concerts de musique contemporaine : Divertissement chorégraphique, composé en 1936, et Les petites danseuses sévillanes, composé en 1946, ont été ainsi radiodiffusés, pour la première fois, en 1950 et 1955. Cependant, ce compositeur a surtout été sollicité par des solistes qui appréciaient sa musique : Caprice, concertino pour violoncelle et orchestre composé à Rome en 1937 a été créé par Paul Tortelier et l’Orchestre de la Radio en 1942 ; son quatuor de saxophone Burlesque composé en 1939, créé par Marcel Mule en 1945, n’a été radiodiffusé qu’en 1951. Les musiciens de son temps qui ont connu la Deuxième Guerre mondiale et les débuts de la radiodiffusion, avaient encore pour principale satisfaction d’écouter leur musique en concert et de pouvoir la faire éditer. Seul le fameux Concerto pour trompette et orchestre à cordes composé plus tardivement en 1966, à la demande Maurice André (et créé la même année salle Gaveau par l’Orchestre Fernand Oubradous), a pu être rapidement enregistré sur disque 33 Tours (Erato, 1972, actuellement épuisé). Il faut attendre la fin des années 1980, pour que l’usage des CD se diffuse, et qu’il soit matériellement plus aisé de reproduire l’audition de concerts sur des disques de qualité. Ce fut le cas du Psaume pour orchestre et orgue (1937) que Robert Planel n’avait pu réentendre pendant quarante ans (il avait été radiodiffusé en 1942) : en mai 1994, le compositeur venait d’en achever la réduction, à la demande de François Vellard et du Chœur Orphée, mais le disque qui est issu du concert de mai 1995 en l’Eglise de la Trinité, paraîtra un an après sa mort. La Danse pour percussions exécutée en première audition au début des années 1960 par Vincent Géminiani, n’a connu son premier enregistrement qu’en 1996 grâce à l’initiative de jeunes interprètes qui rendaient hommage au compositeur disparu. De même, les Viennoiseries pour piano à quatre mains (1988), dédiés à Mireille Varjabedian et Richard Phillips, ont été enregistrées pour la première fois en 1997, dans le disque de Musique de Chambre produit par l’Association des Amis de Robert Planel. Cf. infra 3 et 4 (Catalogue et Discographie).

 

Ce parcours de compositeur du XXe siècle a néanmoins été jalonné de joies et d’émotions esthétiques. Robert Planel nous a légué des compositions musicales extrêmement variées, des œuvres pour orchestre et de la musique de chambre, des pièces instrumentales pour violon, violoncelle et piano, mais aussi pour orgues, percussions et instruments à vent (basson, clarinette, cor, flûte, hautbois, trombone, trompette saxophone), des mélodies et des chœurs. Musicien français, il le fut au plus haut niveau, par le don de la mélodie, la richesse d’une orchestration inspirée par le jazz symphonique, le sens inné de l’harmonie et du développement, tout en gaieté, finesse et subtilité. Des hommages lui ont été rendus, par Radio-France en 1989 (à l’occasion de ses quatre-vingt ans), puis par des compositeurs amis et disciples [16]. Sa musique est aujourd’hui redécouverte et jouée, dans le monde entier (en Europe, en Amérique, au Japon…) par de jeunes interprètes.



[1] Compositeur, éditeur de musique et fondateur de la première école de musique de la ville de Montélimar (Drôme) dans le sud-est de la France. Alphonse Planel (1869-1947) a ouvert, avec sa femme Louise Albertin (1879-1942), le premier magasin de musique (instruments et partitions) de Montélimar, rue Mercerie (près de l’ancienne Place du Chapeau rouge), plus tard dans la Grand’ Rue (actuellement rue Pierre Julien). Ils avaient cinq enfants, deux fils (Jean et Robert) et trois filles (Aimée, Madeleine, Cécile).

[2] René Chédécal, né en 1898, Premier Prix de violon en 1918 (dispensé du service militaire). Répétiteur de la classe de préparation au concours d’entrée au conservatoire, Premier violon à l’Opéra de Paris,  directeur du conservatoire de Perpignan après 1944.

[3] Frère aîné de Noël Gallon (1891-1966), Premier Grand Prix de Rome en 1910, lui-même professeur de solfège, puis de fugue et de contrepoint au Conservatoire national supérieur de musique de Paris.

[4] Nombreux ont été les musiciens français de cette génération qui ont été les élèves de Georges Caussade, dont Maurice Duruflé (1902-1986), Oliver Messiaen (1908-1992), etc.

[5] Georges Caussade a été Prix de Rome de musique en 1883, un an avant Claude Debussy (1862-1918).

[6] La classe de composition d’Henri Büsser, en 1933, était composée par : Marc Berthomieu, Yvonne Bloch, Michel Boulnois, Eugène Bozza, Henri Challan, René Challan, Jean Doyen, Emile Marcellin, Marcel Mirouze, Isabelle Mercier, Robert Planel, Henriette Roger, Lucienne Paulyn, Renée Staelenberg, Jean Vuillermoz.

[7] Il est primé au premier tour et à la majorité des voix (23 voix sur 30) des académiciens qui composaient le jury. Celui-ci, présidé par Charles Widor (1844-1937), était constitué, pour la section musicale, de Georges Hüe (1858-1948), Gustave Charpentier (1860-1956), Gabriel Pierné (1863-1937), Henry Rabaud (1873-1949), et de son professeur Henri Büsser (1872-1973) - qui lui avouera ne pas avoir voté pour lui, pensant qu’il était trop jeune et avait encore le temps de se représenter.

[8] Le Prix de Rome devait être attribué sur dossier, à partir de 1968 (sous le ministère Malraux).

[9] C’est seulement en 1942 que le directeur du Conservatoire, Claude Delvincourt (1888-1954), Prix de Rome en 1913, rouvrira la classe de saxophone (fermée en 1870 pour cause de guerre). Il la confiera à Marcel Mule (1901-2001), l’un des premiers saxophonistes français du XXe siècle qui en sera l’unique professeur jusqu’à sa retraite en 1968.

[10] Cette récompense nationale, ne sera attribuée par l’Académie Charles Cros, créée en 1947, qu’à partir de 1948.

[11] Robert Planel a épousé en premières noces, en 1930, Isabelle Flamme, décédée en 1945.

[12] Durant sa vie, Robert demeura également lié d’amitié à d’autres artistes : sculpteurs, graveurs, céramistes – Léon Séverac (1903-1996), Louis Leygue (1905-1992) ou Raymonde Chabrun –, peintres – Georges Cheyssial (1907-1997), Annette Faive (1911-1988), Eric et Espérance Bagge –, sans compter de très nombreux musiciens (compositeurs, interprètes, professeurs ou musicologues) dont la pianiste Lucette Descaves, l’organiste et compositeur Michel Boulnois, son ami du conservatoire, le chef d’orchestre Daniel Chabrun (1925-2006), le compositeur André David, les musicologues Roland-Manuel, France-Yvonne Bril, Pierrette Germain-David, etc.

[13] Directeur du Conservatoire de 1920 à 1941.

[14] Raymond Loucheur (1899-1979), Prix de Rome en 1928, devient inspecteur général de l’enseignement musical au ministère de l’Education nationale, puis est nommé directeur du Conservatoire (1956-1962). Il devait être remplacé par Raymond Gallois-Montbrun (1915-1994), Prix de Rome en 1944.

[15] Robert Planel s’est remarié en 1947 avec Jacqueline Carray, professeur d’enseignement musical dans les lycées techniques de Paris, productrice d’émission musicale à la Radio scolaire et au CNDP, présentatrice de concerts éducatifs et musicologue. Deux enfants sont nés de cette union (Richard et Anne-Marie).

[16] En mai 1993, par le conservatoire du XIVe arrondissement de Paris, dirigé par Richard Philipps ; en mai 1995, exécution de son Psaume à l’occasion du 50e anniversaire du Chœur Orphée (Paris, mai 1995) dirigé par Michel Vellard ; en 1995 également à Paris, par Le Tryptique (concert organisé par Roger Calmel, exécution de Andante et scherzo, sa première œuvre ; en 1996, par le conservatoire du IXe arrondissement de Paris dirigé par Michel Cosson (exécution de plusieurs œuvres de musique de chambre et du conte musical Giboulin et Giboulette) ; en décembre 1999, concert organisé au Théâtre municipal par la Ville de Montélimar, Henri Loche et l’Association des Amis de Robert Planel.

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